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mardi 1 mars 2011

Libye,Bahreïn: Washington craint "le rsique de chaos" in Le Monde

Ex-diplomate, Laurence Pope explique au Journaliste Sylvain Cypel pourquoi les Américains s’inquiètent des révoltes Arabes

Arabisant, le diplomate Laurence Pope a occupé de nombreux postes dans des pays arabes. Il fut premier conseiller de l’ambassade américaine à Tripoli de 1974 a 1976, responsable de la zone du golfe Persique au département d’État, directeur adjoint pour le contre-terrorisme et enfin conseiller politique (1997-2000) du Center Command, le front de l’armée américaine qui comprend l’espace arabo-musulman.

 
Les craintes sécuritaires montent aux États-Unis face aux évolutions du monde arabe. Quelles sont les plus importantes selon la diplomatie américaine?
 
Il est impressionnant de voir combien les révolutions perturbent les paradigmes usuels. Hier, la menace pour les États-Unis se nommait Iran, Frères musulmans en Égypte. Aujourd’hui, les craintes se sont déplacées vers le risque de chaos qui pointe dans certaines zones du monde arabe. La menace perçue comme la plus inquiétante est celle d’un effondrement de la monarchie à Bahreïn, dont les conséquences pourraient être enormes. La seconde est que la chute du colonel Kadhafi soit suivie, en Libye, d’un chaos général.

Quels sont les risques à Bahreïn?

Cet État à majorité chiite est un verrou très important dans le Golfe. Or la révolte contre le régime sunnite du roi Hamad Al-Khalifa y est très puissante, bien plus par exemple que celle au Yémen. On peut envisager que le monarque bahreïni parvienne à un compromis avec ses chiites qui sont majoritairement des piétistes influencés par des courants modérés. Le problème est que l’Arabie saoudite réagirait très vivement a une tentative de modifier le régime de Bahreïn. Si la monarchie y perdait toute influence politique, et plus encore si elle devait chuter, une intervention saoudienne au Bahreïn deviendrait très probable.

Pourquoi? Et à quel prix?

Les Saoudiens interviendront parce que la monarchie bahreïnie n’est rien sans leur soutien et qu’eux-mêmes doivent gérer une population chiite dans la zone limitrophe. Ils jugeront qu’ils ne peuvent pas se permettre de voir la révolution s’épandre en leur sein. Si cela advient, les conséquences seront incalculables. En premier lieu, la Ve flotte américaine, qui mouille à Bahrein, devra partir, risquant de laisser les monarchies du Golfe  dans une confrontation solitaire face a l’Iran.

Que craint Washington?
 
Une intervention armée saoudienne au Bahreïn serait catastrophique tant l’Arabie est associée dans le monde arabe aux États-Unis. Même si Barack Obama a du faire passer un message au roi Abdallah lui indiquant sa très ferme hostilité à une intervention saoudienne au Bahreïn, il n’est pas sur que le monarque en tienne compte, vu la peur intense de son régime d’être déstabilisé. Washington se retrouverait alors coincé entre  deux de ses alliés, et entre sa volonté d’accompagner le changement pour ne pas perdre pied au Moyen-Orient et une realpolitik axée sur la préservation des équilibres dans le Golfe. De plus, les États-Unis pourraient-ils empêcher Riyad d’agir ? Si les populations locales se convainquent que l’Amérique devient impotente dans la région, les événements peuvent s’accélérer et la perspective d’un chaos augmenter fortement. Un chambardement dans le Golfe aurait pour Washington des conséquences d’une magnitude inimaginable.

Quelle menace pèse sur la Libye?

Celle du chaos par son démembrement. Le colonel Kadhafi n’a eu de cesse de jouer des divisions d’un pays créé en 1950-1951 par la réunion de trois provinces disparates. Il a lourdement favorisé le régionalisme et le tribalisme et empêché le développement d’institutions nationales. Dans l’immédiat, la probabilité la plus forte est que les Libyens parviennent à se débarrasser de leur despote assez vite. Mais qu’adviendra-t-il d’un pays sans véritable ossature nationale ni sentiment d’appartenance à une communauté de destin? Saif Al-Islam, le fils de Kadhafi, a pointé la menace d’une guerre civile. Ce qui menace le pays, c’est une explosion entre régions hostiles. Le risque devoir surgir une nouvelle Somalie sur les rives de la Méditerranée est tout à fait plausible. Ce serait un facteur de grande instabilité extrêmement nouveau.