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mercredi 2 février 2011

L'explosion en Tunisie et en Egypte - quelles leçons pour l'Algérie ? by Abdelmadjid Bouzidi in Le Soir d'Algérie

Par Abdelmadjid Bouzidi
abdelmadjidbouzidi@yahoo.fr





La contestation est directe, violente, radicale, et occupe l’espace de la rue, par nature très difficile à gérer. Comment en est-on arrivé là ? Les causes immédiates de la révolte sont facilement identifiables et l’ont été par tous les médias : ici, c’est la hausse des prix des produits de première nécessité, là, c’est la chasse policière aux «petits boulots», unique source de revenus des nombreux jeunes chômeurs, là encore, c’est la hogra d’une bureaucratie d’Etat contre tous ceux qui n'ont que «leurs yeux pour pleurer». Mais toutes ces causes ne sont que des mises à feu de bombes qui ont été en fait fabriquées par des années de gouvernance autoritariste de gestion patrimoniale des biens de l’Etat, de surdité aux souffrances de la société de la part des pouvoirs en place, de dilapidation de patrimoines publics et de corruption. Les peuples arabes ne se contentent plus, aujourd’hui, de revendications alimentaires ou d’amélioration de leur pouvoir d’achat : la contestation est de nature politique et, il faut insister sur ce point, encore une fois, sans le giron islamiste. C’est le système politique en œuvre depuis des décennies qui est rejeté par les peuples en révolte qui semblent avoir bien compris que sans la démocratie, sans les libertés publiques, ils n’obtiendront rien d’un régime politique prédateur et cleptomane. Plusieurs analystes ont mis en avant le rôle qu’auraient joué les Occidentaux dans la chute du régime de Ben Ali et dans les fortes secousses que connaît actuellement le régime de Moubarak. A la tête de ces pays occidentaux, les USA qui auraient «une feuille de route» pour la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord), et sa recomposition politique. Bien que cette appréciation ne soit pas totalement fausse, on ne peut pas laisser croire que les soulèvements populaires auxquels on assiste actuellement seraient téléguidés et répondraient à une commande des USA. Que ces derniers aient pris la juste mesure de ces événements et de la colère populaire, uniques dans la région, et qu’ils y inscrivent leur nouvelle diplomatie, fort probablement. Mais ces contestations restent des phénomènes internes, propres aux peuples de la région. Et comme le disait le leader chinois Mao Tse Toung : «La cause externe ne joue que par l’intermédiaire de la cause interne. Appliquée à une pierre, une quantité de chaleur ne produit rien appliquée à un œuf, elle donne un poussin.» Il faut bien relever que dans la liste des besoins fondamentaux à satisfaire, les peuples en révolte ont aujourd’hui ajouté la démocratie démocratie qui émerge à présent pour eux, comme la clé pour la résorption des autres souffrances (alimentation, santé, pouvoir d’achat…). C’est en ayant droit à la parole, en ayant droit à de vraies élections qui leur permettent de choisir leurs représentants, en ayant droit au suivi pour ne pas dire au contrôle des actions de ceux qui sont censés représenter leurs intérêts, que les peuples peuvent voir leurs énormes difficultés se résoudre progressivement. Tout cela, les rues arabes l’ont compris même si elles ne sont pas toujours capables de l’exprimer dans un langage de politologues ! Qui a donc dit que les jeunes des pays arabes ne sont capables que d’un «chahut de gamins» ?!
En Jordanie, au Yémen, mais surtout en Tunisie et en Égypte, les peuples arabes contestent les pouvoirs en place, ne se reconnaissent pas dans leurs propres Etats, exigent la justice, l’Etat de droit, la démocratie. Et, fait notable important et quoi que puissent en penser tous ceux qui veulent minimiser la portée de ces événements, ces mouvements populaires ne doivent rien à l’islamisme, habituellement en tête des soulèvements pour allumer les mèches des poudrières.
Les leçons à tirer des soulèvements populaires de Tunisie et d’Égypte Bien que des analyses sérieuses et plus fouillées restent encore à faire, les soulèvements populaires de Tunisie et d’Égypte rappellent quelques acquis que la sociologie politique a permis d’établir et sur lesquels il y a peu de réserves. On peut en rappeler, ici, au moins cinq :
1- L’Etat, qui sous l’emprise d’un homme, veut gérer seul, par sa seule bureaucratie, la société, verse inévitablement dans le «tout sécuritaire» qui produit les effets inverses de ceux qu’ils visent :
a/ fracture sociale
b/ désordre
c/ violence
Le face-à-face bureaucratie d’Etat - population sans intermédiation institutionnalisée débouche irrémédiablement sur la rue.
2- Un Etat fort est un Etat légitime qui a confiance en son peuple, qui s’appuie sur un peuple pour gérer la société. «C’est en faisant de chaque citoyen un membre actif de l’Etat, en lui donnant accès aux fonctions et aux services qui l’intéressent le plus, qu’on l’attachera le plus à l’indépendance du pays», (Thomas Jefferson). Ce qui a fait tomber Saddam Hussein et son régime politique, c’est certes l’agression armée que lui a infligée Bush mais c’est aussi la désaffection de son peuple vis-à-vis d’un régime pourri et sanguinaire qu’il a mis en place pour gérer la société irakienne. Seul le peuple irakien aurait pu défendre l’Etat avec efficacité si celui-ci était légitime.
3- La gestion de la société, la gouvernance comme on dit aujourd’hui, ne peut pas se faire sans rupture en l’absence d’institutions fortes : syndicats, partis politiques, structures de régulation, mouvement associatif qui remplissent l’importante fonction d’intermédiation entre les pouvoirs publics et la population dans ses diverses composantes.
4- Le problèmes politiques ne sont pas solubles dans l’économie. Ils ont leur propre logique et doivent faire l’objet de traitement spécifique. La croissance économique elle-même se heurte, tôt ou tard, au déficit de démocratie, de délibérations, de dialogue social.
5- La démocratie est un besoin social fondamental. C’est l’Etat de droit, et «le remède à une démocratie malade, c’est encore plus de démocratie » (Thomas Jefferson). Mais «la liberté des uns s’arrête là où commence la liberté des autres».
Et l’Algérie dans tout cela ? Notre pays connaît depuis quelques années des colères populaires, des contestations violentes, des émeutes dont les moins radicales ne sont certainement pas celles qu’on a connues en ce début d’année avec la révolte de la jeunesse qui a concerné toutes les régions du pays. Ces mouvements de contestation doivent être lus comme un révélateur de problèmes sociaux certes, mais pas seulement. Ce sont aussi des révélateurs d’une gestion politique de la société qui n’emportent nullement l’adhésion des Algériens ni plus singulièrement encore celle de la jeunesse. La colère des Algériens est d’autant plus forte que le pays dispose d’un ensemble d’institutions en mesure d’assurer une transition démocratique pacifique. Pourquoi donc l’Etat gèle-t-il toutes ces institutions de délibération, de dialogue, de participation à la vie politique du pays ? Et qu’on ne nous sorte plus l’épouvantail de l’islamisme politique, les Algériens ont suffisamment payé pour le réduire considérablement et ont largement démontré qu’ils n’en voulaient pas !Que constatons-nous ? 1- Le pluralisme syndical est reconnu dans le droit, refusé dans les faits. Il revitaliserait pourtant d’une manière bien utile le dialogue social, la démocratie sociale.
2- La tripartite est bien là mais elle fonctionne comme appendice du gouvernement et ne délibère dans les faits sur aucun dossier économique et social, la délibération étant pourtant un lieu de confrontation des avis et de construction élaborée de consensus. pourquoi ne pas l’élargir à tous les syndicats et l’institutionnaliser ?
3- Le Conseil national économique et social existe, dispose d’un budget mais n’a toujours pas été renouvelé et ne reçoit pratiquement pas de saisine. L’urgence est à sa revitalisation car c’est là une formidable tribune de délibérations, d’échanges, de débats, de réflexion sur les questions économiques et sociales qui intéressent la nation. Il faut rappeler que cette instance réunit représentants de l’Etat, syndicats, patronat, experts. Bel espace de fonctionnement d’une démocratie de négociation qui permettrait une application des politiques publiques plus consensuelles.
4- Les conseils de l’éducation, de la jeunesse, de l’information ont existé et ont permis des débats sur des dossiers cruciaux, même s’ils avaient besoin d’être dynamisés et d’être plus représentatifs. Pourquoi les avoir supprimés ?
5- Le Conseil national de l’énergie permet un élargissement de la réflexion sur la politique énergétique du pays, question cruciale s’il en est, et donc d’éviter les erreurs que pourrait commettre l’administration en charge du secteur. Pourquoi ne fonctionne-t-il pas ?
6- Le mouvement associatif est reconnu légalement. Il est réglementé. Mais il fonctionne de manière anarchique, ne dispose pas de moyens, est laissé à son propre sort et a une vie végétative. Il y a pourtant là un formidable outil d'aide à la société pour se prendre elle-même en charge, un outil de développement du civisme et de construction de la citoyenneté.
Pourquoi donc toutes ces institutions ne sont elles pas réveillées, remises au travail, laissées fonctionner sans immixtion. Nous n’avons pas abordé le second volet de la transition démocratique : celui du multipartisme. N’est-il pas grand temps de revoir la loi sur les partis politiques et redynamiser la vie politique nationale ? Libérer la parole, refaire fonctionner les institutions existantes en les démocratisant, revitaliser société politique et société civile, avancer sur les deux jambes et engager sérieusement, avec détermination, la transition démocratique dans notre pays, une «démocratie forte», comme la qualifie le politique américain Benjamin R. Barber, c’est-à-dire une démocratie enracinée dans la société profonde. Oui, nous pouvons le faire en Algérie. Mais, encore une fois, nous craignons fort que la montagne ne fera que nous renvoyer nos propres échos ! Il faut alors bien mesurer le risque de faire de la transition démocratique, qui est inéluctable et qui est inscrite dans l’histoire, un processus violent, socialement coûteux et dont le pays n’a vraiment pas besoin.