Par Ammar Belhimer in Le Soir d'Algérie
ammarbelhimer@hotmail.fr
Maghreb Economic Forum, un think tank initié il y a deux ans par des hommes d’affaires et industriels maghrébins – au rang desquels se trouvent Slim Othmani, Habib Fkih et Kamel Lazaar son président – se décrit comme «une organisation non gouvernementale, apolitique, indépendante et fondamentalement maghrébine». Il ambitionne de favoriser l’éclosion de «groupes de réflexion portés par la société civile et permettant aux Maghrébins de développer une démarche propre quant à leur avenir et leur devenir commun.»
Soucieux «d’essayer de changer les choses», le
Forum a réuni ce week-end à Tunis une rencontre d’opérateurs privés et
d’experts sur le thème : «Le Maghreb : un moteur pour la création d’emplois».
Il est aisé d’entrevoir, à travers cette problématique, le souci des fondateurs
du Forum d’optimiser les atouts d’un Maghreb «ouvert et unifié» : « Sa
population d’environ 85 millions d’habitants constitue une main-d’œuvre et un
marché de consommation domestique capables de soutenir une croissance à deux
chiffres à même d’assurer un développement durable de la région. Un territoire
de 4 millions de km2, des richesses naturelles, une relative aisance
financière.»
L’initiative du Forum est d’autant plus louable
que, comme le rappelle à juste titre son président, Kamel Lazaar, «jamais le
Maghreb n’a été exposé à autant de risques». Ce qui appelle à des «actions de
convergence urgentes, concrètes, pragmatiques» qu’il envisage dans les secteurs
de l’énergie, les transports, l’éducation et les finances.
Habib Fekih (le patron d’Airbus Middle East), un
fervent «maghrebooptimiste », a une analyse plus fine des priorités qu’il
résume à trois : le tourisme, les transports et les zones franches. Il cite
l’exemple de Dubai, où son entreprise opère également avec succès, et qui –
pour des raisons géostratégiques – a développé une multitude de zones franches
dont la plus petite emploie à elle seule 20 000 personnes. Le Maroc agit dans
le même sens, avec la zone de Tanger. L’avenir immédiat est également porteur
pour l’hôtellerie trans-maghrébine et pour le transport, notamment aérien (il
enregistre une croissance de 5,9% par an dans la région.)
Jamais conjoncture n’aura été aussi favorable à
l’intégration, enchaîne Mustapha Kamel Nabli, ancien gouverneur de la Banque
centrale de Tunisie : la crise financière continue de dérouler ses effets, l’UE
est au plus mal et le Maghreb représente un réel moteur de croissance. Le
moteur a cependant besoin d’un bon système d’allumage pour assurer les 16 à 18
millions d’emplois nouveaux attendus à l’horizon 2020.
Au-delà de leurs divergences, tous les acteurs,
publics comme privés, sont unanimes à déplorer le gâchis que représente le
statu quo actuel : on l’a déjà écrit ici même, le non-Maghreb coûte 1,5 à 2
points de croissance/an pour chaque pays, un bond des échanges intra-maghrébins
des 2-3% actuels à 8-10% et une amélioration des agrégats sociaux dans des
proportions non négligeables (200 à 300 000 emplois supplémentaires pour toute
la région).
Tout en s’ignorant, les pays du Maghreb sont
astreints à des liens de dépendance très marqués : l'Algérie et le Maroc
commercent à plus de 65 % avec l'Europe, la Tunisie à 76 %. A l'inverse, la
zone méditerranéenne représente une faible part du commerce extérieur de l'UE
(5,8 % des importations et 8,6 % des exportations en 1993). Le pourtour
méditerranéen constitue par ailleurs la zone avec laquelle l'UE obtient son
plus fort excédent commercial (18 milliards de dollars en 1993). L’impact de
l’intégration sur les prévisions de croissance du PIB n’est pas exagéré. En
2005, le Nobel français d'économie Maurice Allais évaluait les effets de
l’abandon de la préférence communautaire, décidé en 1974 par Bruxelles sur les économies
nationales : il établissait la baisse du taux de croissance du PIB réel par
habitant de l’ordre de 30 à 50% pour les pays signataires du traité de Rome.
En Algérie, le taux de chômage global est passé
de 30 % en 2000 à 11 % en 2008, mais le taux de chômage des jeunes reste élevé,
à près de 22 %. En Tunisie, le taux de chômage ne cesse d’augmenter pour
atteindre 19 % en 2011, dans un contexte de très faible taux de croissance
économique estimé à 1 % au mieux.
La Libye importe à la fois des travailleurs
qualifiés et des travailleurs non qualifiés, alors que le taux de chômage des
Libyens est très élevé, 30 % selon les estimations, et touche principalement
les jeunes qui forment la grande majorité de la population. En Mauritanie, le
taux de chômage s’établissait à 31 % en 2008, et le sousemploi était évalué à
14 %.
Le chômage des jeunes est ainsi un problème qui
touche des classes d’âge importantes global moyen en Algérie, au Maroc et en
Tunisie.
Par ailleurs, la région perd ce que Paul Krugman
appellerait les «effets d’agglomération» : les Etats de la région qui négocient
en ordre dispersé se vendent pays par pays et non comme sous-ensemble dans leur
quête d’IDE. Le cinquième élément de l’accord conclu par l’Algérie porte sur la
promotion de l’intégration entre les pays du Maghreb, objectif qui figure
également dans les accords conclus par le Maroc et la Tunisie. Tous ces accords
permettent un cumul des règles d’origine dans le cas des biens produits d’une
part dans l’UE et d’autre part dans les trois pays du Maghreb. Toutefois, pour
que les pays du Maghreb puissent bénéficier du cumul des règles d’origine en
vertu de ces accords, les règles d’origine s’appliquant dans le commerce
bilatéral entre ces pays doivent être identiques à celles s’appliquant en vertu
des accords d’association. Pour l’instant, les règles d’origine des accords
bilatéraux entre les trois pays du Maghreb sont identiques, mais diffèrent de
celles des accords d’association. Les accords bilatéraux de libre-échange entre
les trois pays du Maghreb comportent des règles d’origine similaires fondées
sur le critère de 40 % de valeur locale ajoutée, à l’exception de l’accord
tarifaire entre la Tunisie et l’Algérie, qui prévoit un seuil de 50%.
L’intégration régionale est en réalité le seul moyen de tirer profit des
accords conclus séparément avec l’UE. Outre qu’elle favorisera la création
d’économies d’échelle pouvant compenser l’étroitesse des marchés intérieurs
actuels, elle permettra de promouvoir les flux d’investissement dans la région.
L’augmentation de la taille du marché résultant
de la facilitation du commerce régional entre l’Algérie, le Maroc et la Tunisie
devrait se traduire par une augmentation de l’investissement direct étranger
dans chacun des trois pays. Sans Maghreb, le gain escompté des accords avec
l’UE est pratiquement nul. Dix ans de partenariat n’ont fait qu’accroître le
fossé des revenus entre pays de l’UE et nations du pourtour méditerranéen et
les PIB des pays du Sud atteignent à peine 18% de ceux des Etats des Vingt-Cinq.
La plupart des produits agricoles en provenance de la zone méditerranéenne,
lorsqu’ils sont moins chers que les produits de l’UE, sont sujets aux
restrictions de la politique agricole commune. Les barrières tarifaires des
fruits et légumes varient selon les produits et les saisons, avec un prix plus
élevé imposé durant les périodes où les importations communautaires sont
susceptibles d’entrer en compétition avec les produits locaux. L’huile d’olive
est un exemple de cette situation où les pays du Sud pourraient rivaliser avec
les produits en provenance de l’Union européenne, nonobstant les subventions à
hauteur de 2,3 milliards d’euros perçues par les producteurs d’huile d’olive
des Vingt-Cinq.
Trois acteurs sont convoqués au chevet d’un
Maghreb malade de ses pouvoirs politiques : les décideurs, les institutions et
la société civile.
La volonté politique est cruciale, de même que la
restauration de l’ordre et de l’autorité des Etats qui font cruellement défaut
chez nos voisins aujourd’hui et qui mettent en colère Mme Bouchamaoui, la
présidente de l’UTICA (Tunisie) : «Des bandits enfreignent la libre circulation
des camions entre la Libye et la Tunisie sans que les autorités des deux pays
ne réagissent.»